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Vers la construction identitaire d'une nouvelle région Verdon

Dans cette dernière partie, j'aimerai m'attacher à définir quelques hypothèses en ce qui concerne les dynamiques identitaires de l'ensemble des communautés villageoises appartenant à la zone du Verdon. Mais avant tout il me faut définir ces dynamiques identitaires, afin d'éviter les confusions. Le concept d'identité, cher à notre discipline est certes bien pratique, «la valeur heuristique de l'identité semble tenir en effet aux relations qu'elle permet d'établir entre des phénomènes très variés -façon de dire, façon de faire, système de représentation- auxquels elle participe et dont la cohérence n'est pas donnée à priori.»[Chevallier et Morel, 1985 : p.3]. Mais en même temps cette notion d'identité semble parfois abusive, surtout lorsque qu'elle est clairement revendiquée et affirmée. Toutefois j'aimerai employer ce terme pour définir ce qui se passe dans la région du Verdon, où cette identité serait plus à considérer comme une dynamique locale, «[...] comme un projet, dans lesquels les individus et les groupes sont en permanence engagés»[Bromberger et al., 1989 : p.140], m plutôt qu'un fait social revendiqué et directement visible. Ainsi ce concept de dynamique identitaire me servira à définir les adaptations de ces différentes communautés villageoises (qui malgré quelques différences possédaient chacune une culture rurale) à un nouveau mode d'appropriation de l'espace, de sa gestion et de sa défense.

Dans une étude, réalisée en 1975 sur la retenue de Sainte Croix, l'auteur, J. Viard rend compte de plusieurs points importants :

La vallée du Verdon était sans doute la plus belle du Haut-Verdon, elle avait une dimension mystique et grandiose que jadis la religiosité avait marqué. Eglises, chapelles, oratoires se parlaient au dessus des cultures, mais comme l'a analysé si justement M. Coignet: l'abandon progressif de cette région, son isolement géographique et son éloignement des zones valorisées par les modes ont peu à peu fait oublier cette dimension. La mise en eau a fait saillir, à l'évidence, cette organisation, en la marquant du sceau de la modernité, de la mode. De la mode de l'eau, lieu touristique valorisé par excellence. Ces particularités font de cette vallée une enclave géographique et symbolique au milieu d'un pays marqué de la main de l'homme dans ses moindres cuvettes.«Il y a une rupture entre l'ancienne vallée et la nouvelle et si il n'y a pas une rupture absolue dans les pratiques, les modes de pensée et les politiques d'aménagement de ceux qui se battent depuis 15 ans , il va se créer un espace conflictuel et inharmonieux qui ne satisfera personne.»[Viard, 1975 : p.153] Les éléments de la désorganisation de cette vallée peuvent être ceux de sa destruction ou de sa re-destruction. Ils ouvrent un espace de "désordre" qui peut conduire à l'anarchie tout autant qu'à l'harmonie. L'Etat est intervenu par une politique dirigiste, pour essayer de fixer des "garde-fous" à ces mouvements (règle d'usage des rives, règles d'antipollution). Mais ce ne sont que des barrières protectionnistes. Il n'y a qu'au niveau des habitants, anciens et nouveaux de la vallée et au niveau départemental et régional qu'une intervention positive peut s'élaborer. La conjoncture actuelle freine la mise en place des équipements et des constructions. Cela peut permettre une politique d'ensemble globale et harmonieuse. La mise en eau a déstructuré la propriété foncière atteignant en son c\oeur la structure du groupe social. La population restante n'a pas la vitalité pour créer quelque chose de nouveau, elle ne peut que s'identifier à une société de rentiers, vendant ses terrains au fil des besoins Il y a donc besoin d'un relais qui permette que s'organise une nouvelle société fondée avec un nouveau terroir.

Ce qui est important dans les idées développées par J. Viard, dès 1975 c'est que la population locale doit chercher à créer un espace d'équilibre, c'est l'homme qui a produit ce territoire, il lui revient donc la responsabilité d'en faire le meilleur usage. C'est cette dynamique là qui m'amène à parler de construction identitaire. C'est un peu comme si il y avait eu une remise à zéro des compteurs, tout ce qui était avant les politiques d'aménagement du territoire a été détruit ou fragilisé. La population de la vallée du Verdon doit partir sur de nouvelles bases. Les fondations en place depuis plusieurs décennies se sont lézardées avec l'introduction de facteurs exogènes : les populations locales ont été en grande partie renouvelées, le paysage n'est plus le même, l'utilisation de l'espace et son appropriation ont été totalement modifiées. Que les gens en aient conscience ou non il est en train de se dérouler une recomposition de l'identité régionale, en fonction de la nouvelle donne.

Cette dynamique identitaire ou plutôt cette logique de reconstruction est assez visible aux Salles-sur-Verdon. Voilà presque trente ans, la population a été contrainte de déménager pour permettre de répondre aux besoins en eau d'une grande partie de la population du sud-est. Les Sallois ont été obligés de se sacrifier, mais aujourd'hui ils ont hérité d'un territoire neuf, produit de la main de l'homme, et ce nouveau territoire (qui comprend un nouveau paysage et un nouveau village) est à présent leur responsabilité, il leur revient de le redresser à la fois économiquement et socialement, mais leur faut également préserver une nature et un paysage. C'est un peu comme s'ils avaient hérité d'un territoire vierge et ils ont le devoir moral d'en faire le meilleur usage, pour que leur sacrifice n'ait pas été fait en vain. Bien sûr le développement du village est l'affaire des Sallois, mais même s'ils ont leur mot à dire, ils ne peuvent décider seuls de l'avenir de l'ensemble de la région Verdon.

La municipalité salloise et les associations du village, en particulier la maison des lacs, tentent de mener des projets pour assurer un avenir meilleur à la commune en cherchant des solutions pour développer l'ensemble de la région de façon harmonieuse, c'est à dire en préservant le milieu et en permettant à l'économie de prospérer. Mais même si les Sallois sont conscients que leur environnement est fragile et qu'il doivent le préserver en collaborant avec l'ensemble des communes concernées, ils ne veulent pas pour autant s'effacer derrière des groupes ou des communautés de communes. En effet, l'ère est au regroupement, pour ce qui est de la gestion des problèmes au niveau global, mais pour autant aux Salles il y a une volonté d'être considéré comme un groupe à part entière. Ainsi les Sallois ne veulent plus être les victimes, ils veulent jouer un rôle dans les décisions d'avenir, ils ne veulent plus être mis devant le fait accompli. Lorsque j'ai demandé au maire comment il voyait l'avenir il m'a dit :«A l'heure actuelle nous sommes à la croisée des chemins. Pour nous, il serait important de limiter l'apport touristique, ou en tout cas de l'étaler sur l'année, pour favoriser le développement d'autres ressources économiques, comme par exemple développer l'éducation à l'environnement. Dans ce domaine les communes doivent donner l'exemple pour que les secteurs privés soient tentés de s'installer. Et puis à un niveau plus large, il faudrait favoriser les pays. Parce qu'en ce moment se développent des communautés de communes qui ont seulement pour compétence le développement économique et l'aménagement du territoire, mais pour nous ce système n'est pas valable parce qu'il nous confinerait au touristique et nous ne pourrons plus rien développer d'autre». Ainsi, même s'il y a une volonté d'agir en collaboration avec les communes environnantes, le village des Salles ne veut pas non plus être absorbé, pour ne pas être de nouveau la victime de choix extérieurs. La logique identitaire se joue donc sur plusieurs niveaux, on trouve à la fois une volonté, au niveau micro-local, d'être considéré comme un groupe à part entière, libre de ses choix et de ses actions ; puis à un niveau plus global (la région Verdon) il y a une volonté de faire vivre un territoire plus large, de mener des actions concertées pour le bien et le développement de l'ensemble des «pays du Verdon». Entre les deux se répondent ce que je définis comme des logiques identitaires, elles sont multiples mais elles vont toutes dans le sens d'un développement harmonieux et équilibré. Aujourd'hui l'équilibre villageois traditionnel ne se perpétue que dans de rares endroits, depuis trente à quarante ans on assiste à une recomposition des structures villageoises, qui en se rapprochant des modes de fonctionnements urbains tentent de conserver leurs particularités, c'est cette alliance du nouveau et de l'ancien que je définis comme dynamique identitaire, même si celle-ci se matérialise dans les faits de façon moins objective et moins contraignante que dans les groupes ou sociétés dites traditionnelles.

1.5


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