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Priorité aux aménagements structurels

Les premières années de vie au nouveau village n'ont pas été des plus faciles. Nous l'avons vu précédemment, EDF s'était engagée à reconstruire les principales infrastructures du nouveau village, c'est-à-dire la mairie, la poste, l'école, l'église et deux bâtiments HLM. Mais, en 1974 c'était les seules constructions vraiment terminées, en plus des deux structures hôtelières ; le village était donc un chantier et la vie n'était pas des plus agréables.

En fait, les premières années de vie au nouveau village n'ont pas été très faciles pour ceux qui avaient vécu en-bas, car de l'ancien village, il ne restait rien mise à part son nom, deux lavoirs, la fontaine et quelques encadrements de portes sauvés du pillage... Ainsi, au nouveau village rien n'était plus comme avant : les gens n'avaient plus leurs habitudes d'autant plus que près de la moitié des anciens Sallois étaient partis vivre ailleurs, le paysage n'était plus le même et les relations avec les villages jadis les plus proches se sont arrêtées, principalement à cause d'un accroissement considérable des distances (Sainte-Croix est désormais à 25 km et Bauduen à 16 km). Désormais, il y a un lac et celui-ci bouscule les habitudes... Pour M.A. «Même le temps a changé avec le lac, avant on avait du brouillard et maintenant il s'est déplacé plus haut sur le plateau [de Valensole]». L'ensemble de la société salloise est donc déstabilisé et dans les premières années du village on n'a pas vraiment le temps de s'occuper des hommes. Il faut aménager le village au plus vite pour lui permettre de répondre à sa nouvelle vocation : l'accueil touristique. Chacun s'attelle donc à sa nouvelle tâche, car il faut que les gens viennent aux Salles et amènent leur argent ; il est vital pour tous ceux qui se sont endettés que leur nouvelle activité fonctionne, leur avenir personnel en dépend.

Alors que dans la presse, on parle de l'essor imminent du nouveau village, dans la réalité la vie s'y organise lentement. Les premières structures à vocations commerciales ouvertes aux Salles-sur-Verdon ont été l'hôtel-bar-restaurant Le Verdon et l'auberge des Salles, ils ont ouvert au mois de juillet 1973. Au mois de mars de l'année suivante s'ouvre le Chêne Vert, un salon de thé dont les propriétaires, d'anciens agriculteurs, ont fait le pari de la reconversion. En juin 1974 s'ouvre le premier magasin de souvenirs (tourisme oblige), et en août 1975 s'inaugurent les locaux du Crédit Agricole. Cette dernière ouverture fait l'objet d'un article dans la presse locale et l'implantation d'un établissement bancaire porte en elle tous les espoirs du nouveau village : «L'implantation du Crédit Agricole dans notre petit village symbolise bien l'essor qu'il connaîtra dans les toutes prochaines années»[extrait du VAR Matin du 15 août 74, in Bulletin Mémoire Vive N^3, 2001 : p.40]. Enfin en juin 1976, s'ouvre le premier mini-supermarché, dont les propriétaires venus de La Palud «[...]ont fait un pari sur l'avenir. Mais ils l'ont fait en s'appuyant sur des données certaines : le village est appelé à devenir l'un des centres les plus importants du tourisme dans le haut pays varois»[Extrait du Nice Matin du 28 juin 1976, in Bulletin Mémoire Vive N^3, 2001 : p.41].

Ainsi, lors de l'inauguration officielle du nouveau village des Salles-sur-Verdon, les commerces sont peu nombreux. En fait, ceux qui ont ouvert dans les premières années du village sont des commerces qui ne peuvent vivre que de l'apport touristique, dès lors on voit bien que la reconversion programmée du village est vue comme la seule ressource viable. Dès le début, tout l'espoir se porte sur le tourisme, ceux qui ont fait le pari de la reconversion se démènent en période estivale, c'est-à-dire pendant les mois de juillet et août car en hiver le village est vide, la vie y est plus que tranquille et ce village trop neuf ressemble à un de ces lotissements qui se construisent un peu partout en zones périurbaines. D'après A. Latz le nouveau village porte, à travers son architecture, tout l'espoir de sa reconversion, ainsi on a construit ce village en pensant plus à ceux qui viendraient le visiter (plusieurs parkings ont été prévus) qu'à ceux qui y vivraient. Pour les anciens Sallois, la vie est beaucoup plus difficile. Ils ont perdu leurs habitudes, en hiver il n'y a pas de commerce, les propriétaires du mini-supermarché ont vite compris que leur commerce n'était pas rentable en dehors de la période estivale et il n'y a même pas de boulangerie, l'ancien boulanger trop vieux pour reprendre son commerce a lui aussi préféré se recycler. A la fin des années 70 on est donc très loin de la relative autarcie que connaissait l'ancien village. Malgré tous les espoirs mis dans ses nouveaux murs, le village des Salles-sur-Verdon a du mal à repartir.

En fait, le problème du nouveau village, c'est qu'il a été conçu essentiellement en vue d'une activité touristique, la principale conséquence est un trop grand décalage entre l'été et l'hiver. Les variations de population engendrent des problèmes au niveau des infrastructures (la station d'épuration, largement suffisante en hiver est très vite saturée en été) et de grandes disparités au niveau économique. D'après M.C. il est très problématique de faire vivre un village uniquement du tourisme ; certes aujourd'hui le village des Salles-sur-Verdon est relativement riche mais il est pauvre d'un point de vue social. Malgré tous les espoirs mis dans le nouveau village, la rentabilité économique ne fonctionne qu'en été et les artisans et les petits commerçants «ne sont pas là pour faire du social.». Comme me disait M.G. «Ceux qui ont parié sur le tourisme se sont enrichis, que ce soit les petits commerces, les campings ou les concessions de pédalos et de bateaux électriques. Alors bien sûr pendant la saison ils travaillent énormément parce que c'est avec ce qu'ils gagnent en été qu'ils vivent en hiver». Ainsi le tourisme a apporté l'argent mais le reste ne suit pas. Par exemple, il a fallu une initiative de la mairie au début des années 80 pour que s'ouvre une boulangerie. Pour la majeure partie de mes informateurs, pour que le village vive toute l'année et voit de nouveaux habitants s'y installer il faut impérativement que les services publics soient maintenus (école et poste principalement) et que les gens puissent se loger sur la commune à l'année. En ce qui concerne les services publics, dès les premières années la municipalité avait dû se battre pour éviter la fermeture de l'école. Quelques années plus tard le Crédit Agricole, qui portait tant d'espoir dans le futur fermait ses portes et d'après M.C. «Ils ont fermé du jour au lendemain sans prévenir personne. Ils sont partis comme des voleurs. Et aujourd'hui il faut que la municipalité se batte pour que la poste ne fasse pas le même coup, parce que s'il n'y a plus de poste c'est fini... Et on a déjà des problèmes avec la distribution du courrier, généralement on ne l'a pas avant 16H... ». Le logement est également un problème aux Salles : selon les données INSEE du recensement de 1999, sur les 294 logements répertoriés moins du tiers sont des résidences principales, les résidences secondaires représentent 31% et plus de 40% des logements restent vacants une grande partie de l'année. D'après M.G «Si aux Salles il y a autant de logements vides, c'est une simple question d'argent : les gens louent des appartements en été à 4000 ou 5000 francs la semaine, alors pour eux c'est mieux de louer l'été et en plus ils n'ont pas tous les embêtements d'une location à l'année. En plus, si une année ils tombent sur un mauvais locataire ils ne lui loueront plus et le gars ne pourra plus venir aux Salles parce que ça se sait vite si une personne n'est pas correcte... Alors pourquoi ils s'embêteraient à louer à l'année ? ». Pour M.A. «En fait tant que la mairie n'achètera pas des logements elle-même, le problème se sera pas résolu. Et si les gens ne peuvent pas se loger, ils vont pas venir travailler ici, et le village sera habité le week-end et l'été».

Le problème des Salles-sur-Verdon reflète ce qui se passe dans la majeure partie des petits villages du Haut-Var, mais aux Salles ce problème est accentué parce que la mise en eau de la vallée a détruit les repères traditionnels, qui étaient engendrés par des rythmes de vie agricole et des relations sociales qui s'étaient forgées avec l'utilisation particulière de l'espace villageois. Cet équilibre a été bouleversé avec le nouveau village, l'éclatement du groupe social et l'irruption de l'industrie touristique qui ne fonctionne qu'en terme de rentabilité économique et qui, par conséquent, ne permet pas de recréer un équilibre social au sein d'une population locale, que l'on pourrait qualifier d'anomique.


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